La technique du pochoir laisse une trace indéniable sur les alphabets reproduits. Une fois pochées les lettres sont plus fines et les tracés plus irréguliers que sur la matrice, mais surtout, les contreformes des lettres habituellement fermées – telles que l’œil du «o» ou du «a» – sont ouvertes. Les tenons servant à retenir la contreforme deviennent, une fois pochés, des liens invisibles soumis à l’interprétation du lecteur. Des investigations ont déjà été mené à ce sujet, notamment par Eric Kindel et Fred Smeijers (dont les images défilent à l’écran), ainsi que par Claude Laurent François. Les premiers ouvrages réalisés aux pochoirs datent du milieu du XVIIe siècle, il s’agit de très grands livres liturgiques destinés au chant en groupe, et qui étaient placés en hauteur, dans le chœur de l’église. Les caractères typographiques permettent de dater ces ouvrages, car il est très probable que les faiseurs de pochoirs s’inspiraient des documents imprimés de l’époque.

Pourtant, produire un alphabet en le découpant dans une plaque de laiton implique inévitablement un résultat différent. Contrairement à l’impression typographique, qui a tendance à graisser le caractère par les effets conjoints de l’encrage et de la pression, le caractère poché est amaigri par rapport à la forme découpée sur la plaque. Le caractère développé à l’ANRT est une interprétation du caractère présent dans le Graduel de Notre-Dame de Paris. Le Graduel, nommé ainsi en référence à l’ouvrage duquel il provient, mais aussi pour signifier une apparence nivelée, est composé de trois styles – Rastaban, Denebola, et Sirius – qui correspondent à des étoiles plus ou moins brillantes.

Cette famille de caractères interroge la pratique du pochoir liée à un contexte historique précis et explore les spécificités d’un caractère dont la forme singulière porte la trace de l’outil avec lequel il a été réalisé. Les lettres «découpées à jour», pour reprendre l’expression de Gilles Filleau Des Billettes, sont à la fois traversées par la lumière lorsqu’elles sont à l’état de pochoirs, et apportent de la lumière dans le texte poché par l’amaigrissement significatif de leur silhouette.