Le grain du texte imprimé
Miklós Ferencz zoomCe travail de recherche poursuit à la fois un but impossible et la réparation d’une injustice. Le but, impossible à atteindre, serait de restituer la vibration propre à l’impression typographique dans une fonte numérique; et par ailleurs les caractères de Miklos Kis, injustement attribués à Anton Janson. Kolonel n’est pas un revival: l’enjeu est de redonner une voix propre à un caractère, une voix aux intonations multiples, à l’heure où la perfection de nos outils ne apermettent plus l’accident. Alors, comment recréer une vibration aléatoire avec l’outil informatique, dont le propre est l’uniformisation des caractères typographiques, aussi bien dans leur conception que dans leur pérennité? Car les fontes numériques ne s’usent pas en s’imprimant. J’ai choisi comme corpus une Bible imprimée avec les caractères de Miklos Kis: conservée à Budapest, elle présente une multitude d’accidents d’impression et de gris typographiques qui me permettait de développer mon répertoire de variations. Mon travail a ensuite été un relevé de traces, une enquête à la recherche des indices de ce qui rend un texte vivant, sensible, de ce qui lui donne une consistance propre. Petit à petit, j’ai pu restituer et classifier des types d’accidents et ainsi créer une famille typographique mobile à deux coordonnées. À une extrémité, l’absence, le manque, à l’autre, le trop plein, et entre les deux, une variation de lettres coupées ou au contraire, bouchées.
Les six variantes de ma famille typographique peuvent fonctionner avec des signes alternatifs qui augmentent les variations au moyen de onze jeux stylistiques, et peuvent ainsi produire un effet pseudo-aléatoire, comme une sonate que l’on jouerait à la John Cage, avec des clous et des gommes dans un piano préparé. Ce travail va à l’encontre de l’idée de progrès. Bien que j’utilise des techniques sophistiquées de programmation, de variables dans le dessin, ce n’est pas pour arriver à une avancée quelconque, mais au contraire, pour essayer de revenir à ce quelque chose que l’on a perdu avec la disparition de la vibration analogique dans l’impression des textes.