Le projet part du contexte marocain, complexe d’un point de vue linguistique et typographique. Plusieurs langues sont présentes dont: deux officielles, l’arabe et le tifinagh, et la première langue étrangère, le français, largement utilisé. De nombreux rapports de force sont en jeu entre ces trois scriptes, qui doivent dialoguer dans l’espace urbain. Là ou les lettres sont offertes au regard et parfois même imposées au regard. Les ingrédients pour ce projet sont donc trois systèmes d’écriture, aux origines et aux histoires très différentes. D’une part l’arabe, avec sa tradition calligraphique. D’autre part le latin, qui dispose d’une riche histoire écrite. Et enfin le tifinagh, sans histoire écrite, calligraphique ou typographique, qui se présente à l’heure actuelle dans un état quasi-archaïque. La connaissance personnelle du contexte a été un avantage et en même temps un inconvénient pour le design, une source d’hésitations sur la méthode à employer, et m’a permis de réaliser le lourd poids de la tâche à réaliser. Comment répondre aux problématiques de cohérence typographique entre les trois systèmes, et éviter le piège de l’uniformisation et de la latinisation?

Le positionnement choisi peut se résumer par la formule: «trois écritures, une seule main». Le dialogue n’était pas une tâche simple à gérer. Il a fallu procéder à des allers-retours constants entre le dessin des trois scriptes, et prendre des décisions. Le point de départ a été le tifinagh. Il a fallu lui apporter diverses corrections, sans toutefois trop s’éloigner du modèle normalisé par l’Institut royal de la culture amazighe en 2005, (et enseigner ainsi à l’école), ni imposer un changement radical qui aurait été difficile à lire pour les berberophones. Après avoir stabilisé le tifinagh, il était temps de le faire communiquer avec les deux autres systèmes. La démarche avait une dimension de va-et-vient, de dialogue formel, qui peut aussi s’apparenter à une transposition du vocabulaire développé avec le tifinagh vers le latin et l’arabe. Le dessin des chiffres a été le déterminant car ils sont communs aux trois systèmes.

Du point de vue des choix typographiques, les intentions qui ont servi à moduler le tifinagh étaient de garder son identité épigraphique, mais aussi d’apporter une sensibilité manuscrite, plus humaine. Pour cela, il fallait adoucir sa rigidité, et lui donner du mouvement, avec des lignes droites légèrement courbées, et des formes évasées en haut et en bas. Cela a permis d’insuffler du mouvement dans cette structure rigide. Un de mes grands défis a été de garder la vivacité du tracé tout en restant subtil. Car s’agissant de signalétique, il fallait donner une forme d’autorité à la typographie. Le dessin a ainsi progressivement évolué vers une lisibilité optimale et un gris régulier malgré les différences de structure. Chacune garde son identité propre mais sans créer de conflits internes. Le projet suis son aventure, avec le soutiens de l’IRCAM, et l’ANRT il fera bientôt l’objet d’une proposition officielle au Ministère de l’Equipement, du Transport.