De l’unité d’habitation à l’unité typographique

Comment aborder le dessin de caractère typographique en déterminant une suite de processus constructifs issus des méthodologies des métiers de la construction?

Entre 2015 et 2022, j’ai exercé une gymnastique entre deux activités: la construction (charpente et menuiserie) et le design graphique. Si cette seconde activité ne m’a pas permis de subvenir à mes besoins économiques, il s’agit pourtant de la discipline qui a été la plus enrichissante pour mon activité principale: la construction. Au fil des années, après un apprentissage autodidacte des techniques de fabrication, de l’usage des machines et des méthodologies de travail, il m’est apparu que l’acte de bâtir n’est pas si éloigné de l’acte de dessiner un livre. Si l’on admet que les dimensions d’un ouvrage sont données aux prémices du chantier à conduire — par le terrain, l’espace, la pièce, le format — alors, pour un designer graphique comme pour un constructeur, le parcours est analogue. Tout est affaire d’équilibre entre marge, plein, délié, blanc, espace, ombre et lumière. «Ce n’est certainement rien de calculable, rien de mesurable mais toujours quelque chose d’indéterminable, quelque chose situé entre les choses. La dimension artistique s’exprime dans la proportion des choses, souvent même, dans la proportion entre les choses. Il s’agit de quelque chose d’immatériel, de spirituel.» C’est sur cette idée qu’est né le projet «Entre typographie et architecture»*. Il ne s’agit ni d’architecture, ni de typographie. Il s’agit de ce qu’il y a entre l’architecture et la typographie. J’ai considéré les 18 mois de recherche à l’Anrt comme un temps de pause pour regarder et mener une série d’expérimentations afin de mettre le doigt sur cette intuition qui m’a animé dans mon métier d’artisan constructeur. Après avoir abordé pendant huit ans la construction avec un regard de designer graphique, les mois passés à l’Anrt ont été l’occasion d’inverser les mécanismes et d’aborder le design graphique avec un regard de constructeur. Mon objectif était de comprendre, par un jeu d’aller-retour, les corrélations qu’entretiennent les deux disciplines et les synthétiser en une démarche transversale pour aborder le dessin de caractère. De manière analogue, toutes les étapes de ce parcours ont été l’occasion de porter un regard critique sur les normes et standards actuels en redéfinissant des règles et systèmes émancipateurs.

* Le pavillon allemand de Barcelone, Stan Neumann, 2009, Les films d’ici — Richard Copans / Arte France