Le Paragon Cursif compte parmi les premiers caractères cyrilliques italiques. En 1708 est officialisé l’alphabet civil en Russie, issu une réforme typographique impulsée par le tsar, Pierre le Grand. Ce dernier souhaite moderniser le pays et en faire un état plus ouvert, plus tourné vers l’Europe. C’est dans ce contexte que l’ancien Slavon laisse place à un nouvel azbouka – les caractères civils au début du XVIIIe siècle sont appelés « abécédaire », azbouka en russe – aux formes rationalisées et occidentalisées, et qui sera obligatoire pour les documents officiels et les livres laïcs. Le tsar en personne corrigera les épreuves finales qu’il a fait gravé à Amsterdam. (Le nom des graveurs n’est pas connu à ce jour). La structure du caractère civil ne changera pas jusqu’à la fin des années 1730. En 1725, le tsar créé l’Académie impériale des sciences de Saint-Pétersbourg, quelques mois avant sa mort. Dès lors, elle s’impose comme l’une des plus importantes imprimeries du pays. Sous le règne d’Elisabeth, les graveurs russes de l’Académie des sciences s’émancipent. L’azbouka « Le couronnement » – à cette période les caractères sont nommés par le titre de la publication ou par leur taille de corps – sert dans l’édition du couronnement d’Elisabeth en 1744. C’est un caractère nouveau, que l’on peut considérer en rupture par rapport aux premiers alphabets civils. Les premiers alphabets cursifs voient le jour. L’un des plus étonnants d’entre eux est le Paragon Cursif (ancien équivalent d’un corps 20 selon l’ancienne classification des corps anglo-saxonne), présenté dans « Le livre d’essais » de l’Académie des sciences, édité et imprimé en 1748. Ses formes cursives lui confèrent une certaine souplesse qui contraste avec le Paragon Romain (Antique); d’autant plus que le rythme de l’alphabets cyrilliques est très verticale. Le s – с – , pourrait presque être apparenté à une lettre d’italique redressée quand le м (qui a la même forme qu’un M majuscule latin) et le l – л – laissent un blanc à chaque apparition, de par leur jambe gauche très penchée. Le A majuscule très décoratif pourrait presque être issu d’un caractère de civilité occidental.

Je rassemble un corpus de documents de cette période (1748-1800) où le caractère apparaît. Nous étudierons ce corpus, sans exclure d’observer d’autres caractères cursifs de cette même période. Puis nous ferons une interprétation libre et contemporaine inspirée de ce caractère. Nous retranscrirons sa souplesse et son dynamisme. Le russe sera dessiné en premier puis nous ajouterons un jeu de caractère latin. Nous ne nous priverons pas de diverses expérimentations, comme l’ajout d’une linéale sur la même structure, une version de titrage ou encore l’ajout de variantes de caractères. Tout au long de ce processus, nous continuerons d’enrichir le corpus et de nous familiariser avec l’esprit typographique russe. Cela notamment avec l’aide de précieux livres sur la typographie cyrillique que monsieur Aslanoff, éditeur de l’Institut Slave de Paris, m’a confié. Cette rencontre fut déterminante pour la poursuite de ce projet, c’est pourquoi je tiens à le remercier.