Une analyse typographique des intertitres au temps du cinéma muet

Le cinéma des premiers temps est confronté à une impasse technique majeure : jusqu’en 1927, il est impossible de synchroniser le son et l’image sur une même pellicule, ce qui rend d’emblée les films muets. À mesure que le récit filmique se complexifie, les images seules ne suffisent plus, et le recours au langage écrit semble nécessaire.

Des intertitres – lettres blanches sur fond noir – sont alors insérés au sein des films. Ils s’imposent comme un biais commode pour indiquer une ellipse temporelle, donner des précisions spatiales ou simplement instaurer une situation dialogique. Mais cette rupture textuelle, nécessaire pour délivrer un message, n’en reste pas moins violente d’un point de vue formel…

La production de « cartons » devient dès lors un enjeu technique qui engage pleinement la typographie. Comment produire, photographier puis sérialiser un celluloïd peint ou une planche imprimée ? Quels caractères privilégier selon qu’il s’agisse de concevoir les cartons d’une comédie burlesque ou d’un film d’aventure ?

Dans les années 1920, la plupart des studios de cinéma ont déjà éprouvé différentes méthodes, mis en place une organisation du travail rationnelle et développé des vues précises sur les lettres et les formes qui correspondraient au goût du temps ou qui transmettraient au mieux les intentions de réalisation. Ces préférences ont un impact sur la typographie, qui évolue en retour, s’adaptant pour rester un véhicule esthétique pertinent et pour suivre les cadences de production.

Les cartons sont ainsi un reflet fascinant des mutations d’une industrie frénétique ; ils témoignent à la fois de l’habileté de peintres en lettres – une corporation alors invisibilisée – et du génie créatif de scénaristes spécialisés dans l’écriture d’intertitres. Pourtant, très peu de cartons sont parvenus jusqu’à nous. Et leur matérialité comme leur valeur plastique sont rarement interrogées, en particulier sous un angle typographique.